ISABELLE WALDBERG

1976

 

Propos pour une exposition

Roseline Granet, un sculpteur. Toute la passion, le désir de faire. Sa sculpture commencée à l’aube de sa vie et continuée à l’aube de tous les jours. Roseline entre dans son atelier parmi ses personnages en plâtre, reprend contact avec sa foule de gens, groupés dans des caisses pleines de feuilles, assis ou descendant des marches, par cinq ou plus. Des profils partout, des masques, des tamis, des disques. Ce ne sont pas précisément des êtres-plantes, ils se sont plutôt approprié le feuillage de la forêt et sont revenus en ville en représentation.

Loin derrière ces groupes, Roseline a mis à l’abri des regards « Le Mort déconsidéré », une sculpture de ses premières années, surprenante par son titre et par sa qualité. « La Mort douce » une de ses récentes œuvres, est encore visible, pas trop à l’écart.

Maintenant elle montre « Le Banquet ». Tous ces personnages anthropophages, assis ou debout autour d’une table où git « le Mort » ou « le Mangé »,ou « l’Entamé », ils sont onze.

Ne serait-ce pas plutôt une « leçon d’anatomie », vu l’expression de consternation et de distance qu’ils adoptent ? Le discoureur qui tend son bras et qui probablement sait tout. Pourtant ils ne sont pas assez voraces, il y a un mouvement de recul et d’éloignement et déjà ils regardent ailleurs. C’est peut être un simple prétexte pour se retrouver entre eux, d’être nombreux, de prendre des poses de sculptures.

« Les Parapluies » à la fois gonflés par la tempête et écrasés par les rafales protègent et enserrent les deux personnages assis. Sculpture où Roseline montre tout son esprit d’invention et de liberté.

Tous les sièges de l’atelier, caisses, tabourets, échelles ont été absorbés par les personnages sculptures et les visiteurs n’ont plus qu’à s’asseoir sur les genoux de ceux-ci.

Un homme en bronze, assis dans cette position depuis si longtemps que les feuilles l’ont entièrement envahi et son tronc s’est fendu et divisé en deux comme un arbre.

« L’ange » à trois têtes en forme de vasque sur un pied central haut. Autel, brûle-parfum ou torche ?

Des bas reliefs en bronze avec le cercle du tamis, les feuilles : éléments manifestement obsessionnels de Roseline Granet.

Devant cette luxuriante production ou plutôt mise au monde, on se pose la question : l’enthousiasme des autres est il proportionné avec l’effort du sculpteur ? Ne devraient-ils pas s’extasier plus devant ces êtres et ces choses jamais vus ailleurs, sortis miraculeusement comme tout art authentique d’une seule personne, miracle du travail de tous les jours et de toute une vie ? Ce problème, cette nécessité du regard de l’autre sur toute œuvre d’art, le désir chez l’autre de se l’approprier, de le rendre sien, l’artiste en éprouve un besoin profond. Le silence des ateliers est certes la première condition de la concentration absolue, la condition essentielle pour toute création, mais l’éblouissement du regardeur n’est pas moins important et plonge l’œuvre dans la vie.

J’exprime peut être trop directement ici le point de vue d’un sculpteur, mais l’intérêt vital que m’inspire l’œuvre de Roseline Granet et ce que je sens en elle d’activité créatrice me ramènent instinctivement au sentiment de solitude que nous éprouvons tous lorsque l’œuvre se détache de nous comme un enfant perdu.