LYDIA HARAMBOURG
2000
Chacun des personnages s’est arrêté dans un désir d’envol. Dans un élan affolé soudainement figé par la sculpture, ils osent avouer leur rêve libéré. Leur gestuelle raconte une histoire, suggère un état d’âme alors même qu’un mystère entoure leur représentation qui, tout en nous les rendant familiers, enracine chacun des mouvements du modèle dans le temps. Temps suspendu pendant lequel les mains aux doigts déliés s’ouvrent sur l’espoir entrevu, les corps s’étreignent, se confortent et s’épaulent, basculent en avant, les pieds esquissant un pas ou se risquant à une improbable chorégraphie, parfois même en totale apesanteur, pour une amorce ascensionnelle hallucinante.
Roseline Granet cerne l’espace et la lumière. C’est en eux que la sculpture fonde d’abord son identité qui outrepasse l’ordre de la représentation alors même que tout commence par une vision vécue, pour s’ouvrir à une réalité plastique dont la part d’abstraction scelle l’apparition. Isolés, en couple ou en groupe, les personnages juxtaposent deux regards, celui de la nature et celui de la mémoire, alors que le travail enregistre des phases discontinues. La capture de ces étapes revient à immobiliser des fragments de vie qui ne cessent de fuir devant le sculpteur, Sisyphe opiniâtre.
Roseline Granet fixe dans les rênes du plâtre ou de la cire, l’extase et l’angoisse, sans espoir de possession mais pour d’insaisissables images, immergées dans l’espace et arrachées au vide environnant par des mains libres de se détourner d’une nature illusoire. L’art permet de mieux voir…
Modelées, ces figures sont en proie à une impulsion échevelée, mais muette. Les sourires comme les cris, les expressions se sont eux aussi, suspendus. Dans la complexité des attitudes, nous suivons les cheminements rebelles et flexibles des lignes du corps. Les liaisons sont ici affaire de vide et de lumière. Si le blanc du plâtre est naturellement complice de la réflexion lumineuse, la cire appelle la pulsion digitale, la distorsion formelle qui engendre le rythme. La récurrence du thème de l’oiseau, métaphore de l’envol, s’accorde au tremblé de la vie qui caractérise les sculptures de Roseline Granet. De l’amulette au monumental, les bronzes, résines et plâtres arrachent au mouvement son secret, son énergie, sa présence.