MARCELIN PLEYNET

2009

« Couples » ou deux en un

Il y a bien des décennies que j’admire l’œuvre de Roseline Granet. J’ai d’abord et sans me demander pourquoi, été sensible au libre mouvement qui caractérise ses sculptures.

En lisant ce qu’elle en dit elle-même, je constate, sans m’étonner, qu’elle ne s’inquiète pas plus que cela d’éclairer ce qui spécifie son œuvre :

« Qui décide ? Est-ce ma mémoire, pleine de souvenirs accumulés ? Le doute encore : « Pourquoi cette organisation-là et pas une autre ? C’est terminé. L’aventure a assez duré. Je ne peux rien faire de plus »

Et il n’en va pas autrement lorsque je m’emploie à la faire parler. Elle s’en tient aux éléments essentiellement concrets de son art. Matériaux: plâtre, résine, bronze, figures… Et non moins littéralement : balai, poussière… fatigue : « mal au dos, mal aux mains, mal partout ».

Ce qui est à la fois très juste, indiscutable et en tant que tel, ne manque pas de me laisser libre d’interpréter ce qu’elle me montre, à partir d’indications qui bien que toujours extrêmement modestes, n’en excluent pas pour autant une sorte de très manifeste art poétique.

Si je retiens ce que Roseline Granet me confie de sa fatigue je ne le ferai qu’en me convaincant que la réalisation de ses sculptures participe d’un incontestable investissement du corps tout entier («mains, dos,partout»); que très naturellement le corps du sculpteur participe tout entier à l’élaboration de ses sculptures.

Enfin, et c’est ce qui m’a immédiatement fasciné, le mouvement qui les soulève et les emporte, participe d’un lyrisme baroque très particulier et peu commun, aussi bien dans l’art moderne et encore plus dans l’art contemporain.

Lyrisme admirablement associé aux figures, ici aux couples en mouvement (Grande Rencontre, plâtre de 2007 – Elan à deux, bronze de 2008-2009 – ou encore Couple ambigu, bronze de 2008 – pour ne pas citer Entre deux feux, tirage en bronze de 2007 – Couple romanesque, bronze de 2008, pour ne pas citer le grand et admirable Rapt au parapluie de 1996).

Je remarque que si Roseline Granet reste toujours plus que discrète sur le projet de son œuvre, elle n’en titre pas moins ses sculptures… et que ces titres font à leur manière sens.

Comme fait sens le fait de consacrer une exposition à la présentation de couples en activité.

Il m’est difficile de ne pas voir dans une semblable décision la volonté implicite de revendiquer, en final, la propriété de l’auteur sur son œuvre; et l’association de sa création à l’ordre des sensations qui essentiellement la déterminent.

Sensations évidemment liées à l’activité et aux investissements propres au corps de l’artiste, comme à une certaine haute idée de son art.

Si je m’arrête à l’ensemble des sculptures qu’elle présente aujourd’hui… si, avec et au delà, je les situe dans l’ensemble de son œuvre, force m’est de constater que Roseline Granet dispose très originalement son art dans un « être ensemble » qui ne ressemble à aucun autre. D’abord en ce qu’il est aussi déclarativement que possible situé culturellement…

Je ne peux pas évoquer La Danse de Jean Baptiste Carpeaux ou La Marseillaise de François Rude (17846-1855) devant telle ou telle de ses sculptures (Liberté, Liberté, plâtre de 1990). Et je retiens comme entrée, aux marges de l’œuvre les très belles statues et admirables portraits, entre autres de l’écrivain Jean-Paul Sartre (bibliothèque de la rue de Richelieu), du peintre Jean-Paul Riopelle (Ville de Montréal), du violoncelliste Rostropovitch (Musée Haus am checkpoint Charlie et ville de Saint Nazaire), pour ne pas parler du très extraordinaire Orchestre de 1985…

L’œuvre de Roseline Granet, je n’en doute pas, retient d’abord parce qu’elle est habitée.

Le sculpteur crée ici un monde qui fait appel à notre mémoire… qui nous habite poétiquement. Si tant est que, comme l’a magnifiquement formulé le poète allemand Friedrich Hölderlin : « l’homme habite poétiquement »

Je noterai enfin ici la constatation de ce qui n’est que trop passé inaperçu, à savoir le nombre considérable d’autoportraits disséminés ça et là dans l’ensemble des statues, sculptures. Et notamment dans la série des couples.

Il suffit pour se convaincre de ce qui attache Roseline Granet à cette série, de considérer l’attitude et l’expression du sculpteur sur quelques photographies (de Roseline Granet et de son mari Bernard Granet) qui figurent dans les dernières pages du catalogue publié à l’occasion des grandes expositions de sculptures de Roseline Granet, organisées au musée d’Art et D’Histoire de la ville de Meudon en 1998.