GENEVIÈVE BREERETTE

Le Monde · 1974

 

Roseline Granet et son théâtre de plâtre

Assis en cercle, modelés dans le plâtre blanc avec leur siège, ces sièges bobines que vendent les grands magasins, une douzaine de personnages, grandeur nature, conversent par petits groupes. On les voit bien de la rue, derrière les vitres fumées de la Galerie Darthea Speyer, où se tient, avec l’aide du Secrétariat à la Culture, la première exposition individuelle de Roseline Granet.

Ils sont assez spectaculaires avec leur curieuse parure de feuillage pour attirer les regards même indifférents au monde artistique. Jambes croisées, coudes aux cuisses, dos ronds, têtes penchées, bras tendus… les attitudes sont variées, surprenantes de mobilité et les personnages aussi crédibles que peu réalistes, acteurs de comédie que l’on surprend en pleine répétition, vêtus de leur costume de scène végétal, harnachés de feuilles bouclier, de feuilles épées, de feuilles casques, ou chapeau s’ils n’ont pas l’humeur guerrière; feuilles immenses aux nervures épaisses ou petites, finement ciselées.

Dans cette association insolite de l’homme et de la feuille, Roseline Granet a vu un jeu poétique possible, et y a réussi. Elle y a vu une possibilité de jouer avec le fini, le précis, le qa de toute pièce, dégrossies juste ce qu’il faut pour ne pas se faire pesantes.

Un rêve baroque

Granet est un esprit original qui possède un sens aigu des valeurs tactiles, le plâtre sous ses doigts ne ressemble pas au plâtre travaillé par d’autres. Il ne fige pas comme chez Segal, n’emprisonne pas une réalité froidement observée, pas plus qu’il ne se charge d’obscurs symboles. Il vit, tout court, et s’il ouvre sur le rêve, c’est d’un rêve baroque qu’il s’agit. Voir ses reliefs compartimentés, faits de caisses de bois d’où émergent têtes, masques, feuilles, jambes, mains, associés à d’autres éléments hétérogènes comme les médaillons décoratifs ovales et la « veduta » (toujours en plâtre).

Les compositions chargées, savamment dosées de porte-à-faux, ont une exubérance de contre-réforme. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant que les ors viennent un jour recouvrir le blanc. Déjà la couleur a fait son apparition dans quelques œuvres de format modeste